Suite ... l'évaluation de la coopération européenne avec les pays Afriques, Caraïbes, Pacifique

Dans un troisième temps, un séminaire de réflexion à Bruxelles, d’une trentaine de personnes, a permis de valider et d’enrichir les conclusions que j’avais tirées des deux premières étapes. Enfin, un site web interactif a été créé pour présenter à la fois les fiches d’expérience, les conclusions et créer un forum Internet, qui a fonctionné pendant un an avec l’appui de la Commission, pour en débattre (www.ue-acp.org).

La synthèse de tout ce travail était la sévère politique de coopération de la Commission. Je l’ai qualifiée d’un mot : « elle est pertinente par effraction », c'est-à-dire qu’il faut choisir entre respecter toutes les règles au détriment de la pertinence ou rechercher la pertinence en prenant ses aises avec les règles.

Toute coopération est par nature dissymétrique : c’est celui qui finance qui détient finalement le pouvoir et surtout le pouvoir de formuler, tant au plan du contenu qu’au plan de la forme, ce qui est recevable et ce qui ne l’est pas. C’est donc toujours une politique d’offre dissimulée derrière un discours sur la primauté des besoins, des attentes et des demandes des bénéficiaires. Une coopération internationale, par nature, se ment à elle-même. En outre, les critères et conditionnalités du financeur jouent un rôle bien plus décisif que les orientations politiques assignées à la coopération. Or, dans le cadre de la Commission Européenne, la contradiction est flagrante entre les orientations et les procédures. Les fonctionnaires sont soumis à des systèmes de doubles injonctions contradictoires et ces contradictions ont été aggravées par la crise de la Commission et sa démission à l’époque de la Commission Santerre et la véritable obsession de la corruption qui l’a alors saisie. L’appel d’offres est devenu la règle jusqu’à l’obsession. Il en résulte ce que j’ai appelé un mécanisme « d’apprentissage jetable » : à peine des relations de confiance, la construction d’une aventure commune s’est esquissée entre partenaires du nord et du sud, le projet est achevé et un appel d’offres va remettre en scène de nouveaux interlocuteurs qui devront faire à leur tour tout le chemin. La présence en outre d’experts européens renforce ce caractère jetable des apprentissages : les leçons acquises de la coopération ne restent même pas dans les pays bénéficiaires. De leur côté, les Etats européens ont pour certains d’entre eux, les anciennes puissances coloniales, une telle histoire commune avec les Etats en Afrique et de tels intérêts à défendre qu’ils ont une position ambiguë vis-à-vis de la coopération européenne et souhaitent avant tout maintenir leur coopération bilatérale. Le Parlement européen est souvent très intéressé par les questions de coopération mais de façon me semble-t-il irresponsable : chaque fois qu’un sujet lui paraît important – traduisons malheureusement quelquefois à la mode -, le Parlement tend à imposer une nouvelle ligne d’action à la Commission renforçant l’émiettement entre de multiples orientations définies en Europe. Il est charmant dans ces conditions de parler de l’appropriation de la coopération par les pays bénéficiaires.

Ce rapport date de 1999. Depuis, de nouveaux accords ont été signés entre l’Union Européenne et les pays ACP. La coopération était souvent remembrée sous forme d’aides budgétaires aux Etats. Certaines orientations nouvelles de la Commission semblent conformes aux conclusions de notre rapport de 1999. Les choses se sont-elles améliorées pour autant ? Les conclusions et propositions du rapport sont-elles dépassées ? J’en doute. Loin de s’atténuer, les contradictions (incompris) les orientations et les procédures sont plus fortes que jamais. C’est en tout cas ce qu’il faudrait vérifier en relançant le débat et en actualisant l’évaluation.